1. Transformer nos vies
Viser la neutralité carbone en 2050 et sauver la biodiversité pour limiter le réchauffement climatique tout en luttant contre la pauvreté et les inégalités : le programme, ambitieux, implique d’opérer des transitions dans tous les domaines, et donc de transformer nos vies, rien de moins… Retour sur une notion qui a déjà 20 ans.
Popularisé à partir de 2005 par Rob Hopkins, enseignant anglais en permaculture initiateur du mouvement mondial des villes en transitions, le terme transition au sens premier qualifie le passage d’un état à un autre, mais porte également l’idée d’un changement complexe car systémique, généralisé, qui concerne tout le monde et tous les secteurs sur un espace donné, que celui-ci soit local, régional ou mondial. Sur la base d'expérimentations visant à l'autonomie et à la résilience locale, Rob Hopkins a développé un ensemble de principes et de pratiques qu'il expose dans son ouvrage The Transition Handbook, traduit en français en 2010 sous le titre Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale. Repris par des philosophes de l’environnement, des biologistes, des économistes, des juristes, des géographes, les transitions font l’objet d’un champ de recherche à part entière. D'abord appliqué aux villes pour faire face au dérèglement climatique, le concept de transition écologique a été décliné progressivement dans de nombreuses sphères économiques et sociales.
« Le terme de transition court le risque, s’il est employé sans précision ou sans épithète, de devenir un fourre-tout. »
À l’instar de l’expression « développement durable », dont il a pris progressivement le relais dans de nombreux discours scientifiques ou politiques au milieu des années 2010 (par exemple en France, le ministère de l’Écologie et du développement durable, devient en 2017 le ministère de la Transition écologique et solidaire), le terme de transition court le risque, s’il est employé sans précision ou sans épithète, de devenir un fourre-tout.
On parle donc aujourd’hui de transition agro-alimentaire (remplacement de l'agriculture industrielle énergivore par une agriculture biologique), énergétique (préférence pour les énergies renouvelables, sobriété), industrielle (production locale de biens durables, réparables et recyclables dans une perspective d'économie circulaire et d'utilité sociale du travail) ; on applique ce terme au secteur des transports (solutions d'écomobilité comme l’auto-partage, le covoiturage, les bus électriques, les vélos en libre-service), de l’urbanisme (densification urbaine, développement d'espaces verts), et même à la vie collective avec l’idée d’une participation citoyenne portée par une dynamique bottom-up (du bas vers le haut), au cœur des initiatives pour changer nos modes de vie et de travail.
Tous ces discours ont pour point commun de faire appel à un changement global, plus ou moins radical. Par rapport au développement durable, la transition ouvre un champ de changement plus large, puisque l’idée de développement, qui reposait sur une perspective de progrès linéaire et de croissance économique, n’y est pas un présupposé.
« La construction d’un modèle de développement durable doit être accessible à tous et prendre en compte les spécificités des territoires. »
Les projets de transition partagent d’ailleurs tous un constat critique sur le système actuel qu’ils appellent à modifier. Comme l’a rappelé l’Agence de la transition écologique (Ademe), les enfants qui naissent aujourd’hui, vivront, quand ils auront 60/70 ans, dans un monde où la température sera de 2 à 4 ou 5 degrés de plus, voir 6 dans les scénarios les plus noirs, en fonction de la façon dont nous organiserons dans les années à venir notre vie de tous les jours. Or chaque demi degré compte. Quatre degrés de plus, c’est jusqu’à deux mois de canicule en France par an, des épisodes de sécheresse plus nombreux, mais aussi des pluies extrêmes, avec pour conséquences des agricultures devenues inadaptées, des habitations, des écoles rendues invivables, des rails et des routes qui risquent de se déformer sous l’effet de la chaleur…

Les différents scénarios pour limiter le réchauffement
Comment limiter le réchauffement ? L’Ademe a envisagé plusieurs scénarios d’évolution possibles, selon l’adoption de législations et de politiques plus ou moins contraignantes, et un recours à la technologie plus ou moins important.
À Familles Rurales nous soutenons un modèle de transition socio-écologique dont la dénomination plus englobante rappelle l’articulation incontournable entre les questions sociales, d’équité et de justice, et la transition écologique globale. La construction d’un modèle de développement durable doit être accessible à tous et prendre en compte les spécificités des territoires. C’est ce que révèle dans son programme consacré aux territoires, le Shift Project association loi 1901 d’intérêt général qui œuvre depuis 2010 en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Les transformations à opérer devront tenir compte des particularités de chaque région, qui devront réformer en profondeur leur économie, leur aménagement et leur gouvernance. Les effets des mutations du système économique et la répartition des efforts de sobriété sont en effet susceptibles d’accentuer les inégalités et la fragilité des populations les plus démunies. Il est donc pertinent de s’intéresser à la résilience des territoires, autrement dit, à leur capacité à absorber les perturbations en se réorganisant ou en modifiant leur structure, tout en conservant leurs fonctions essentielles, leur cohésion, et leur capacité de gouvernance.
Les 14 et 15 octobre 2023, un grand rassemblement de Familles Rurales a eu lieu à Metz, en Moselle. Environ 1 200 personnes, des bénévoles, des employés des associations et des jeunes, étaient présents. Il y avait aussi des représentants de l'État, des collectivités, des entreprises, et d'autres associations qui travaillent pour améliorer la vie dans nos régions.
Conférence de Jean-Louis Bergey
Jean-Louis Bergey, coordinateur prospective, chef de projet Transition(s) 2050, direction Exécutive Prospective et Recherche de l'ADEME
Une plateforme diagnostique pour les territoires
Conçue à partir de données publiques, la plateforme « Territoires au futur » est un outil d’auto-diagnostic de résilience territoriale. En indiquant le code postal ou le nom d’une commune, on obtient une sélection d’indicateurs de vulnérabilité et de résilience dans quatre domaines clés : l’agro-alimentaire, l’économie, le logement, la mobilité. Permettant un diagnostic à la maille communale, intercommunale, départementale et régionale, ces informations locales visent à faciliter la mobilisation des décideurs locaux, et constituent ainsi un point de départ pour lancer le débat et inciter à aller plus loin grâce aux nombreux liens proposés.
« Les individus restent dépendants d’un système sociotechnique dans lequel l’adoption de nouveaux gestes écoresponsables n’est pas toujours facilitée. »
La transition, c’est certes l’affaire de tous. Mais les individus restent dépendants d’un système sociotechnique dans lequel l’adoption de nouveaux gestes écoresponsables n’est pas toujours facilité. Une réelle transition nécessite une impulsion collective de la part des autorités nationales et des entreprises. On ne peut donc que se réjouir du processus, démarré fin 2022, qui doit conduire l’ensemble des membres des fonctions publiques d’état, hospitalière et territoriale – soit 5,7 millions d’agents – à être formés à la transition écologique d’ici à 2027. Après les directeurs d’administration centrale viendra le tour des préfets puis celui des 28 000 cadres de la fonction publique d’état.
Une politique budgétaire adaptée aux transitions
Mais il ne suffit pas de savoir que changer, encore faut-il pouvoir changer. L’argent reste le nerf de la guerre. Mettre la finance privée et le commerce au service de l’Accord de Paris* ? Cette proposition ne vient pas d’écologistes endurcis mais… du président de la République (Le Monde 29 décembre 2023) : « Le coût de l’investissement doit être à l’avenir plus élevé pour un acteur qui s’engage dans le secteur fossile. Nous avons besoin d’un taux d’intérêt vert et d’un taux d’intérêt brun. Cela vaut aussi pour le commerce : nous avons besoin d’une clause climatique dans nos accords commerciaux, car nous ne pouvons pas à la fois imposer le verdissement à nos industries et libéraliser les échanges de produits polluants à l’international. Créer les conditions d’un choc financier pour aider les pays les plus vulnérables à financer leur transition, à accéder aux technologies vertes, qui sont les nouveaux facteurs de croissance, et à s’adapter au changement climatique. Cela suppose d’aller au-delà de la traditionnelle « aide publique au développement » et de faire pour les pays vulnérables ce que les pays riches ont fait pour eux-mêmes en réponse à l’épidémie de Covid-19, à savoir mener une politique budgétaire et monétaire non orthodoxe ». Dont acte ?
*L 'Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties lors de la COP 21, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Paris en décembre 2015. Les États-Unis ont annoncé en janvier 2025 qu’ils s’en retiraient.
Éditorial de Guylaine Brohan
Guylaine Brohan, présidente de la Fédération Nationale Familles Rurales : « L’ambition est d’aller vers un monde durable, respectueux de l’humain et économiquement viable ».